mercredi 21 avril 2010

Workshop et concert de Paddy Keenan

Paddy Keenan, pour ceux qui ne le connaîtraient pas, est une légende vivante du uilleann-pipes. Il était en tournée au Japon, et je  ne pouvais pas décemment laisser passer l'occasion d'aller le voir. Je n'ai pas eu à hésiter entre les différents lieux de concerts, car le JUPC (Japan Uilleann-Pipes Club) avait comploté un workshop avant un concert solo à Tokyo.

Après deux heures de Shinkansen, une demi-heure de train, et le temps de passer par l'hôtel, je me suis dirigé vers le quartier de Shimokita, d'un pas alerte et décidé malgré le climat assez pourri peu engageant, quoiqu'indéniablement empreint d'une touche irlandaise de circonstance. Je suis parti à la recherche du restaurant-salle de concert nommé La Caña, ce qui là, par contre, ne faisait pas très irlandais. Et ni très japonais non plus d'ailleurs.

J'ai craint un moment me faire remarquer avec la valise dans laquelle je transporte mon uilleann-pipes, mais il s'est avéré que le quartier était un vaste repaire de musiciens, et que rares étaient ceux qui se promenaient sans étui à instrument. Comme beaucoup d'endroits à Tokyo, on n'avait pas du tout l'impression d'être dans une grande ville, et c'était très sympathique.

J'avais prévu large au cas où j'aurais eu du mal à trouver l'endroit, mais le plan que j'avais imprimé m'avait permis de m'y rendre sans encombre, et je me suis retrouvé devant une porte fermée, l'établissement n'ouvrant qu'à 16h30 ce jour-là. J'ai donc trompé mon attente dans un café et je suis revenu à l'heure prévue. Et à l'encontre des strictes règles de la ponctualité nipponne, ce n'était toujours pas ouvert. Mais il y avait des gens qui attendaient dans le froid, parmi lesquels se trouvait Paddy Keenan lui-même. Je n'ai pas eu le temps de le saluer qu'il m'a demandé tout de go en désignant ma valise:
— Qui a fait ton uilleann-pipes?
— Euh… Dave Williams…
— Eh bien, ça nous fait quelque chose en commun.

Puis les portes s'ouvrant, nous sommes donc précipités à l'intérieur, et une fois au chaud, tout le monde s'est présenté. Les pipers se sont assis autour d'une table ont commencé à sortir leurs instruments, chacun demandant aux autres le nom du fabricant. J'ai mis mon appareil photo sur la table, espérant pouvoir faire quelques clichés pendant la leçon, mais Paddy Keenan a fait enlever la table le temps que je sangle mon uilleann-pipes, et a commencé le workshop aussitôt.

Assisté par une excellente traductrice, il a d'abord insisté sur l'importance d'adapter l'instrument à sa morphologie pour jouer le plus confortablement possible. Ça a jeté un premier froid, car les joueurs japonais sont plutôt enclin à respecter sans condition les choix des luthiers en matière de fabrication.

Le deuxième froid a été encore plus violent, car Paddy Keenan a expliqué qu'il était important de jouer selon son humeur, et sans chercher à copier qui que ce soit. Apparemment, personne ne l'avait averti auparavant sur la quête acharnée dans laquelle se lancent les musiciens japonais pour se rattacher à un maître ou une école et à s'y tenir scrupuleusement. Cette attitude n'épargne absolument pas ceux qui s'intéressent à la musique irlandaise, et qui sont toujours à la recherche du style le plus «pur» à étudier. Les propos de Paddy Keenan ont donc provoqué quelques sourires polis crispés exprimant l'incompréhension quasi générale.

Puis il a demandé à chacun de jouer un air de son choix. Il y a eu un grand silence glacial, et sachant que ce genre de situation peut s'éterniser avec les Japonais, je me suis lancé et j'ai joué une jigThe Black Rogue. Paddy Keenan a gentiment fait remarquer que j'étais  légèrement crispé sur mon chanter. Je lui ai expliqué que j'étais un peu tendu du fait de la présence de la légende vivante qu'il était. Et il m'a répondu:
— Il n'y a pas de raison… tu imagines si pendant le concert je dois être tendu à cause de ma présence?
Et il a enchaîné en disant que mon style était un peu trop closed-style à son goût. Moi qui pensais jouer trop en open-style, je devrais être rassuré.

Les autres joueurs y ont été de leur air et Paddy Keenan a pris le temps de commenter toutes les prestations, toujours avec gentillesse et quelques blagues au passage. Puis il nous a montré comment faire certaines ornementations dont il a le secret et nous l'avons laissé pour les réglages avant le concert.

Une quarantaine de spectateurs sont arrivés entre temps et ont pris place. Avec les collègues pipers, on avait du mal à réaliser que nous allions assister à un concert de Paddy Keenan dans d'aussi bonnes conditions. Deux pipers japonais ont fait une courte présentation de l'instrument pour ceux qui ne le connaissaient pas, et le héros du jour est arrivé pour s'installer tranquillement.
Le premier morceau joué, il a demandé d'arrêter la sono pour voir. Il a joué un slow-air et a demandé à la fin si tout le monde avait bien entendu. Vu que la salle était petite, il n'y avait pas de problème. Et il a donc joué par la suite sans micro, sauf pour les airs de low-whistle, où il voulait un peu de reverb.
Trois morceaux après, il a trouvé que c'était un peu triste de jouer tout seul et a fait venir le guitariste qui l'accompagnait pour cette tournée japonaise. Il s'est tout de suite senti mieux et en a profité pour se mettre à l'aise en enlevant ses chaussures, détail qui n'a pas manqué de faire bien rire le public japonais.
Puis pour la deuxième partie, il a fait venir un flûtiste et une violoniste avec qui il avait joué la veille. Il a demandé à un moment s'il n'y avait pas un joueur de banjo dans la salle. Joyeusement dénoncé par ses camarades, le timide joueur qui était justement présent a dû venir sur scène.

Le concert fini, Paddy Keenan a discuté un peu avec tout le monde, signé des autographes et a demandé aux musiciens présents de jouer, ce qui a donné lieu à une petite session improvisée. Paddy Keenan  a encore discuté, et finalement, s'excusant d'avoir un train à prendre, il est parti.

Et nous nous sommes retrouvés à nous dire que nous avions assisté à un concert de Paddy Keenan, ravis d'avoir découvert un personnage fort sympathique derrière le joueur de génie et ne pouvant nous empêcher de nous demander si nous n'avions pas rêvé.


Anciens commentaires

Wouaaah, c'est toujours aussi interactif, les concerts au Japon ?! :)
Commentaire n°1 posté par Bruno Bellamy le 20/04/2010 à 09h22
Dans ce cas précis, c'est surtout Paddy Keenan qui est interactif. Et il est aidé par le fait d'être moins connu ici et de pouvoir se produire dans des salles plus petites, et donc plus conviviales.
Réponse de Fabrice Chotin le 20/04/2010 à 09h36