lundi 25 décembre 2017

Cadeau de Noël

Voici le début de En attendant la fin des Nomondes. Joyeux Noël et bonne lecture.
Pour la suite, il faudra attendre la parution du livre en début d’année prochaine.


Que ce soit le fait le plus héroïque ou la tâche la plus monotone, il faut bien commencer quelque part. Chose curieuse, le début n’est pratiquement jamais le meilleur moment pour cela.
Préceptes et recommandations à l’usage des apprentis magistes, mais pouvant également s’appliquer à toutes sortes de néophytes
Romiflon Heobsit

Prélude :
Enchaînement de circonstances

La Lune s’était enfin levée, drapant les lieux d’une pâle lumière négligée. D’un geste élégant, Édwenfili rabattit le large bord de son chapeau noir sur ses yeux fixés en un regard dur délibéré. Puis elle s’avança dans la clairière d’un pas dont la fermeté indéniable était néanmoins le fruit d’un long travail. Ses hautes bottes et sa cape firent danser les herbes folles, libérant la rosée les alourdissant en une petite pluie étincelante. D’abord, Édwenfili ignora les voix plus ou moins stridentes des différents insectes qui s’ingéniaient à ne pas laisser le silence être maître de la nuit. Ensuite, tout en serrant une pierre dans sa main, elle se focalisa sur le rythme régulier de ses pas, synchronisé à sa respiration : inspirer, un, deux, trois, quatre… expirer, un, deux, trois, quatre… et elle atteignit sans effort l’état d’esprit recherché. Une sorte de son tintinnabulant confus sonnailla à la limite de l’ouïe et l’apparence des alentours se transforma. Enfin, telle fut l’impression que ressentit Édwenfili : en fait, elle venait de changer d’endroit. Les lieux étaient désormais plus vastes, en pleine campagne, et animés par toutes sortes de gens, allant et venant à travers la multitude d’échoppes de toile colorée qui y avaient été dressées. Un joyeux vacarme, tellement anarchique qu’il n’aurait su régner, se faisait entendre : mélange de cris, de chants et de musiques, qui avaient comme but, pour la plupart, d’attirer l’attention sur les produits offerts à la vente. La végétation n’était plus la même et il faisait jour. Mais le Soleil n’était guère visible, masqué qu’il était par un gros nuage cotonneux peu enclin au mouvement. La luminosité en était néanmoins plutôt crue, faisant ressortir l’apparence des objets avec plus de netteté. Édwenfili rangea la pierre dans sa musette et elle avait à peine fait trois pas qu’une petite voix aiguë et chantante la héla :
— Voyez ! Me voici venant vers vous.
D’un froncement de sourcils, elle imposa la circonspection au petit arrivant habillé de rouge et d’orange qui venait de l’apostropher : un Flutin au sourire crétin, à qui elle demanda, plus sur un ton de reproche que de curiosité :
— Sous quelle lune as-tu couru sans chapeau ?
— La cinquième des serpents. Soyez sans souci, je suis sous son service. C’est systématique.
Il s’inclina avec une lenteur qu’il aurait été bien incapable de calculer avant de s’enquérir dans un rictus ambigu :
— Que cherche cette charmante chineuse ?
— Rien de spécial. Je ne m’attends pas à trouver grand-chose à la Foire de Tydwit. Mais je pourrais me laisser tenter par quelques babioles.
— Que femme formidable fasse affaire en foire familière nous offrirait ineffable fortune.
— Commençons.
Suivie du Flutin aux pieds de trottin, elle se dirigea vers l’échoppe la plus proche, toute tendue de toiles mauve pâle. Elle était tenue par un Porphoron vêtu d’un somptueux costume vert émeraude qui soulignait non sans élégance son embonpoint, mais cachait sa peau violette marbrée de rose. Ses yeux globuleux jaunes semblaient fixes, ne perdant toutefois rien de ce qui se passait alentour. Sa large bouche de batracien amplifiait son sourire, le rendant amical alors qu’il n’était que commercial. En un sécant, le regard perspicace d’Édwenfili inventoria l’étalage, où toutes sortes de colliers étaient rangés avec un souci classificateur particulièrement affirmé. Toutefois, certains n’étaient pas à la place qui aurait dû être la leur : il ne s’agissait pas d’erreurs, mais bien entendu d’un procédé pour gruger la clientèle peu avertie. Les petites moustaches de silure du Porphoron s’agitèrent alors qu’il adressa un large sourire à l’arrivante. Puis il se fendit d’une légère inclinaison avant de faire d’une voix veloutée :
— Puis-je m’enquérir de la nature de l’aide que je pourrais m’efforcer de bien vouloir vous apporter ?
— C’est toi qui auras besoin d’aide pour vendre des ormuves aussi mal emmagifiées.
— Vous subissez de manière évidente les effets d’une regrettable méprise ou d’une puante malveillance ! La qualité des emmagifications de…
Mais Édwenfili était déjà entrée dans l’échoppe suivante, celle d’un Ponglat. Vêtu d’une toge aussi grise que sa peau, il cachait ses yeux noirs et perçants derrière une mèche de ses cheveux blancs et soyeux. Il vendait des bouteilles, vides pour la plupart. Tout en les observant, elle accorda de son ouïe à ce qui se passait aux alentours. À droite, coincée entre l’échoppe du Ponglat et celle de son voisin était installée une vendeuse de petite taille, avec un air résigné de tristesse ahurie, le visage à moitié dissimulé par quelques mèches en pagaille de ses longs cheveux jaunes. Elle veillait sur une collection de pierres colorées réparties sur un drap blanc posé devant elle. Un Fouloufou au plumage blanc cassé arriva d’une démarche sautillante. La vendeuse n’eut ni geste ni parole.
— Combien pour celle-là ? demanda le Fouloufou en désignant une pierre grise, en s’interdisant scrupuleusement de la toucher.
— Trois fois trois et une chanson. souffla la vendeuse d’une voix monocorde.
— Une chanson ?
— C’est son prix.
— Son prix ? Trop insolite pour être honnête.
D’un mouvement de ses gros yeux ronds et d’un claquement de bec, le Fouloufou fit comprendre à la vendeuse toute l’étendue de sa méfiance, mais elle ne réagit pas. Édwenfili continua à marcher dans la même direction, feignant ne rien avoir entendu. Après avoir honoré quelques échoppes d’une visite diligente, elle laissa la partie basse de la Foire et arriva aux tentes. Elle entra dans la première : elle appartenait à un négociant d’instruments de musique qui semblait se spécialiser dans les violons. Mais l’attention d’Édwenfili fut plutôt alertée par la présence d’un petit pipeau rouge vif. Elle héla le marchand, un Troskill bleuté. Sa posture humble était étudiée pour compenser sa grande taille, empêchant de donner l’impression désagréable qu’il dominait ses clients. Il cachait la maigreur effrayante propre à sa race dans une ample tunique orange dont le drapé se mut avec élégance lorsqu’il déplia le bras d’un geste lent pour souligner sa salutation. Il l’énonça d’une voix chaleureuse :
— C’est un honneur de vous accueillir, même si vous n’achetez rien.
— Si, le pipeau en bois de Courène m’intéresse. Je vous en donne six estoles.
— C’est qu’à moins de dix estoles, j’y perds.
— Alors que vous l’avez payé cinq ? Curieux calcul.
— Bon, neuf.
— Sept. C’est mon dernier mot.
— Il est à vous.
— Non point. Je ne l’acquiers pas pour moi, mais l’offre au Flutin qui m’accompagne ici pour la septième fois consécutive, en récompense des services passés. Si toutefois il accepte. Voilà votre dû. La décision d’emporter ou non l’achat ne dépend pas de moi.
Le Troskill prit les estoles et le Flutin à l’émoi enfantin divulgua son étonnement par un cri étouffé comique. Le pipeau constituait une détestable tentation et il hésita. Édwenfili s’enferma dans une impassibilité très réussie.
— Vous pourriez premièrement parler de ses pouvoirs. proposa le Flutin à la voix de baratin.
— Eh bien, fit le Troskill, comme vous le savez, le bois de Courène facilite le jeu et rend les auditeurs plus réceptifs aux émotions portées par la musique. Mais c’est un vieil objet et je ne puis garantir qu’il n’y a pas eu d’autre emmagification.
Le Flutin aux mines de pantin ragea intérieurement. Le Troskill disait-il la vérité ou laissait-il errer une menace pour pouvoir garder l’instrument après avoir empoché les estoles? Le petit guide d’Édwenfili avança une main tremblante, puis se saisit du pipeau d’un geste rapide. Le Troskill bougea les lèvres, mais sur ce visage incroyablement longiligne, nul n’eût pu trouver moyen de distinguer un sourire d’une expression de dépit.
Puis Édwenfili signa l’acte de vente, salua le Troskill et sortit, suivie par le Flutin qui débordait de remerciements embarrassés. Elle s’amusa en observant comment la nouvelle qu’elle avait acquis un instrument à l’échoppe de Goraro le Troskill commençait à se propager. En effet, la tente s’emplissait déjà de nombreux acheteurs, causant une grande bousculade.
— Un capricorne pour un tricorne ! Ce chapeau sur mon chef ne me chaudrait. s’irrita le Flutin, Vers quel marchand marcher ?
— Boran d’Esterontes le chapelier.
— Quoi ? Qui ? Que je fricote avec un Blix torve pour un tricorne ?
— C’est ma recommandation, libre à toi de la suivre ou pas.
— Approchons donc de son cabanon.
— Pas tout de suite.
Progressant en silence, Édwenfili fit un détour par la tente or et rouge de Musrof le Foulieux. Elle entra avec une rapidité subreptice et surprit le Donquel en pleine transaction avec une Riborte au pelage jaune tacheté.
— Je l’ai acheté moi-même à la Foire des Fières Florées ! se vanta-t-il en levant la tiare qu’il tenait à la main.
Un bon gros sourire propre à inspirer la confiance se dessina sous sa barbe. Il cessa d’autant plus rapidement qu’il n’était que peu véridique lorsqu’Édwenfili intervint :
— Tu n’aurais plus un membre accroché au tronc si tu y étais allé.
Le Donquel se retourna, fronça ses sourcils broussailleux qui se rejoignaient au-dessus de son nez imposant, mais avant qu’il ne puisse répondre, Édwenfili expliqua à la Riborte d’un ton proche de la badinerie :
— Cette tiare redeviendra bien vite ce qu’elle est en réalité : une couronne de fleurs d’ampel. De jolies fleurs, notez, mais qui ne valent sans doute pas le prix qui vous a été demandé.
— En effet. grinça la Riborte, son beau visage félin terni par la contrariété.
Elle s’inclina et repartit la queue battante sans saluer Musrof, qui lança un regard hiémal en direction d’Édwenfili, laquelle s’expliqua d’un ton léger :
— Que veux-tu, j’ai promis de te faire rater une vente à chaque fois que je te verrais. Tu ne m’obligerais pas à manquer à ma parole ?
— Si ! Par tous les éclairs d’Enrebonde ! Ton acharnement sur ma personne est injustifié. J’ai mille fois payé mon erreur.
Sous l’effet de la colère, son teint déjà peu orangé vira au quasi blanc et le capuchon sous lequel il dissimulait l’inéluctable désordre de son abondante chevelure glissa. Il le remit aussitôt en place d’un geste à la rapidité amplifiée par la gêne.
— Erreur ? s’indigna Édwenfili, Tu oses appeler le fait d’avoir voulu me refiler un œuf de pémotrol pour un œuf cosmun une erreur ?
— Je m’en suis déjà excusé. Mort de magiste, qu’est-ce qu’il te faut de plus pour que tu arrêtes de saboter mon commerce ?
— Du temps, sans doute. Dommage pour toi, je n’en ai que très peu à te consacrer. Au revoir donc.
Musrof frémit en entendant ces mots et murmura une contre-malédiction. Édwenfili quitta sa tente et alla accompagner le Flutin chez Boran, où il acheta un tricorne rouge très seyant. Une fois qu’il l’eut coiffé, le Flutin à la fraîcheur du matin prit la flûte de courène et joua une petite mélodie guillerette qui fit fleurir mille sourires aux alentours. Édwenfili le noircit du regard et il s’arrêta avant d’esquisser un fort niais rictus d’excuse et de la suivre. Après un tour rapide parmi les tentes, ils se rendirent chez Hort Mystère, le Devin le plus doué de cette Foire, qui en était devenu une autorité implicite et incontournable. Lorsqu’ils entrèrent dans son petit pavillon, le gros homme se leva pour accueillir Édwenfili avec enthousiasme, prenant le soin d’empreindre d’élégance un mouvement des amples manches de sa robe gris-bleu bordée de velours noir. Si ses vêtements étaient raffinés, il avait l’habitude, pour le plaisir du contraste, de laisser sur son visage joufflu une barbe taillée si court qu’elle ne pouvait dégager qu’une seule impression : celle qu’il était mal rasé. Il complétait ce tableau de négligence en évitant de trop bien peigner ses cheveux, afin qu’ils paraissent broussailleux. Il était capable de donner au ton de sa voix la particularité de suggérer des secrets dans les propos les plus banals. Mais en face d’Édwenfili, il fit de sa voix normale, qui était agréable, quoiqu’un brin gouailleuse :
— Je viens d’apprendre comment tu avais acheté un instrument chez Goraro. Essaierais-tu de corrompre notre personnel ?
Le Flutin au bas popotin se fit encore plus petit qu’il ne l’était. Édwenfili répondit :
— Vous n’en aurez plus, de personnel, si vous laissez vendre ici des objets non uniques.
Le visage du Devin s’empourpra. Son indignation et sa colère s’exprimèrent dans un seul mot :
— Qui ?
— Drôle de question pour un Devin.
— Arrête de plaisanter ! C’est d’une gravité extrême et pourrait signifier la disparition de cette Foire. Alors, dis-moi qui !
— Le Nomæl qui tient la tente de fournitures pour le dessin et l’écriture. Ses plumes d’alérion sont produites par des Sirvons peu scrupuleux. Je ne sais pas qui confectionne ses pinceaux en poil de broufoul, mais j’ai déjà vu les mêmes à plusieurs reprises.
— Et tu es sûre qu’ils sont fabriqués en nombre ?
— Certaine. Les charmes sont identiques aux magèmes près et possèdent cet aspect délétère propre aux objets emmagifiés ensemble en grandes quantités.
— Tu as mon entière confiance pour évaluer pareille chose. Qu’allons-nous faire ?
— Le Marché des Marches de Marj a banni un marchand pour ça.
— Mais ça signifie avouer que les contrôles ont tardé à repérer la fraude. Ça va être catastrophique pour nous !
— Ça le sera encore plus si tu attends. Mais si tu le souhaites, je n’interviendrai pas.
— Inutile. Tout le monde fera le rapprochement avec ta présence. Allons prévenir Bariqueux et je te demande de bien vouloir nous aider.
— Si c’est ce que tu désires, j’accepte volontiers.
Ils arrivèrent vite chez Bariqueux, qui logeait dans sa demeure de fonction, laquelle était plutôt sobre et de taille appropriée. Il portait le titre de Maître de Foire. C’était un gros Ocor à l’air endormi et aux gestes patauds, qui, contredisant son apparence, décida d’agir aussitôt. Il donna des ordres à diverses personnes, avec clarté et précision, sans éclat particulier de la voix, ni traduire la moindre colère. Puis il se rendit peu après à la tente du Nomæl avec les trois autres. Il prit aussi deux gardes, des Trulbuks à la mine patibulaire, sans doute pour rimer avec réglementaire, engoncés dans des armures noires aux formes tourmentées, hérissées de pointes et semblant plus être faites de pierre que de métal. Ils étaient armés de lances enflammées aux ronflements quelque peu exagérés pour paraître peu rassurants.
Lorsqu’il les vit arriver, la contrariété barra le visage jaune du Nomæl de manière spectaculaire. Il passa machinalement la main sur son crâne chauve et décida de s’effacer, mais un troisième garde arrivé à revers lui bloqua le chemin. D’autres intervinrent pour faire évacuer la tente et des momages posaient déjà des scellés sur tous les articles. La foule bruissa et chuchota. Le Nomæl commença à tonner son innocence. Hort le fit taire d’un geste et alla chercher une plume couleur crème avant de la produire en s’exclamant :
— Voilà une plume qui n’est pas d’alérion…
— Et alors ? Les emmagifications lui confèrent les mêmes pouvoirs et je suis sûr que vous écrirez d’aussi belles poésies avec.
— Les emmagifications sont justement ce qui pose problème, car elles ont été faites sur nombres de plumes identiques de manière concomitante !
La foule se mit à vrombir.
— C’est une accusation grave, s’indigna le Nomæl, je ne vous laisserai pas la proférer contre moi sans preuve.
Hort se tourna vers Édwenfili, qui lui fit à voix basse avec un geste de dépit :
— Ça va être difficile, je n’ai pas mon amelune. Mais nous pourrions utiliser celle qui se trouve ici en possession d’une Lixelle.
— Comment ? Une amelune ? Une Lixelle ? s’étrangla Bariqueux, Que les deux soient menées ici !
La Lixelle arriva escortée par un garde et accompagnée de nombreux murmures. Elle était toujours aussi hagarde, tenant la pierre contre son sein dans ses deux mains.
— Prête ton amelune à la chineuse. ordonna Bariqueux.
— Non. Je ne peux que la vendre, trois fois trois et une chanson.
L’Ocor se renfrogna et Hort soupira. Édwenfili chuchota quelque chose à l’oreille de la Lixelle et demanda à Bariqueux :
— M’autorisez-vous moi et la Lixelle à utiliser cette amelune et à faire usage de magilèges ?
— Dans l’unique but de nous aider à élucider cette affaire, je vous autorise à utiliser l’amelune et à faire usage de magilèges.
— Merci.
Elle prit ensuite la plume qu’elle tendit à la Lixelle, lui demandant grâce à l’amelune d’en rendre les magilèges visibles. La Lixelle renâcla avec mollesse, mais n’eut pas la force de refuser. Les enchantements apparurent sous une forme d’entrelacs lumineux animés.
— Voyez la configuration de ce magilège, elle est très simple, pour ne pas dire grossière. Le processus d’activation exige une grande dépense d’énergie inhabituelle. Sa mise en œuvre elle-même crée des turbulences importantes. Ce sont là les marques d’une emmagification en masse.
— Mais ce ne sont pas des preuves. contesta quelqu’un dans la foule.
La déclaration fut aussitôt confrontée à un florilège de contradictions par quelques connaisseurs. Édwenfili eut un petit rictus.
— Voici une preuve supplémentaire, d’un accès plus facile à ceux qui ont grande ignorance de l’Art.
Elle alla prendre une deuxième plume :
— Procédons de même et comparons.
La visualisation du magilège apparut à côté de la première. Elles étaient identiques dans les moindres détails, les pulsations lumineuses étant d’une synchronie des plus rigoureuse. Un grondement d’indignation retentit. Certains crièrent à l’illusion. Les magiciens les plus confiants en leurs compétences assurèrent ne pas en voir, tandis que les plus savants expliquaient doctement qu’une visualisation produite à travers une amelune ne pouvait en aucun cas être masquée par une illusion. Bariqueux fit taire tout le monde en déclarant :
— Ce sont là des preuves suffisantes pour les autorités du Conseil des Foires, dont je suis le représentant. Par conséquent, Nomæl, vous êtes en état d’arrestation pour vente d’objets emmagifiés en masse. Votre stock est confisqué et je vous arrête en attendant de vous remettre aux autorités des Foires de Formélude.
— J’approuve cette sentence. agréa Édwenfili.
Hort, pour sa part, s’exclama avec contrariété :
— Dommage. J’avais l’idée d’une malédiction assez amusante pour l’inciter à avouer.
Le Nomæl se garda de réagir en entendant cela. Les gardes l’emmenèrent. Édwenfili retrouva Hort et Bariqueux chez ce dernier. Bariqueux enjoignit à la Lixelle de l’accompagner, car il avait à lui parler de la présence non déclarée d’une amelune à sa Foire.
— Ton aide nous a été précieuse, Édwenfili. se félicita Hort, Sois-en remerciée.
— Je préférerais en être récompensée. Laissez-moi acheter son amelune à cette Lixelle.
— Vous exagérez ! tonna Bariqueux, Des enchères sur le privilège d’achat d’une amelune nous rapporteraient infiniment plus que la valeur de tous les objets confisqués à ce marchand !
— Objets que je pourrais réclamer en toute légitimité si j’insistais. Et je vous ferais remarquer que la présence cette amelune vous avait échappé. Vous n’aimeriez pas que ça se sache, j’imagine…
— C’est vil ! Je parierais que vous avez monté toute cette combine pour accaparer cette amelune.
— Monté, non. Disons que j’ai profité d’un enchaînement de circonstances.
— Et vous obtenez une amelune.
— Mais votre Foire est sauve. Et cette histoire contribuera à son renom.
— Quand même, une amelune… regretta Hort, Et tu en avais déjà une en plus. Mais comment espères-tu échapper à la malédiction ?
— J’ai un muche à effet immédiat. leur révéla-t-elle en sortant un cristal de sa musette.
Bien que contrarié à un haut point, l’Ocor donna l’autorisation et Édwenfili remit trois estoles, trois humes et trois morgolets à la Lixelle, puis chanta, sans conviction affirmée toutefois, une courte comptine. La Lixelle lui tendit la pierre et quand elle changea de main, elle lâcha un énorme éclat de rire avant de tomber évanouie. Édwenfili ressentit une extrême angoisse très brève. Ce fut donc avec soulagement qu’elle regarda le muche disparaître dans sa main, qui sembla se dissoudre dans l’air. En fait, elle soupçonnait qu’il se glissait plutôt sur un plan de réalité différent. Bariqueux, qui aimait marquer les dénouements heureux, proposa alors de trinquer en guise de conclusion. Édwenfili et Hort burent en sa compagnie dans une humeur joviale, plaisantant sans rancune aucune sur les récents évènements. La joie d’Édwenfili fut d’une courtée. La Lixelle se réveilla et se précipita aussitôt aux genoux de sa bienfaitrice pour la remercier. Puis elle se déclara être désormais son obligée et insista pour lui rendre sa faveur d’une façon ou d’une autre. Édwenfili refusa, mais la Lixelle ne l’écouta pas. Hort s’amusa fort de ce retournement et Bariqueux lui-même libéra toute son hilarité.
Et Édwenfili repartit de Twydit dans un état de contrariété assez remarquable, avec la Lixelle sautillant dans ses pas. Elles furent poursuivies une courtée[1] par le Flutin au doigté mutin jouant une petite mélodie aigrelette et moqueuse sur son nouveau pipeau.
— Malédiction, grogna Édwenfili, ces fichues amelunes sont toujours source de bien des problèmes. Et dire qu’il m’en faut une troisième.




[1] Les divers peuples des Nomondes n’utilisent pas le même système de mesure du temps. Si toutefois ils en ont un, car nombre d’entre eux considèrent que le temps est un sujet tabou et que le découper en fractions serait sacrilège. L’usage même du mot « temps » est parfois considéré comme funeste. Aussi, on utilise entre les divers peuples les termes suivants :
- un sécant : un instant non mesurable, un point sans durée
- une courtée : une courte durée
- une longuée : une longue durée
La longueur de ces durées est souvent très subjective. On redouble parfois la première syllabe pour amplifier :
- une coucourtée : un très court moment
- une lonlonguée : un très long moment
Le terme de « durée » est restreint à une durée indéterminée ou indéterminable.
Pour faire patienter, où on utilise :
- un attant : une durée d’attente, à la longueur variable. Le terme est poli.
- un passiant : le terme comporte une nuance de reproche, informant celui à qui on l’adresse qu’il fait preuve de trop de hâte.

dimanche 17 décembre 2017

Tribulations de Noël

En attendant la parution de En attendant la fin des Nomondes, prévue l’année prochaine, vous pouvez lire mon recueil de nouvelles Tribulations (plus ou moins) oniriques.

Et puisque c’est bientôt Noël, j’en offre un exemplaire ePub gratuit à tous ceux qui en feront la demande par MP sur ma page FaceBook (ou dans les commentaires de cette page si vous n’avez pas de compte FB). L’offre est valable jusqu'au 24 décembre.

Et pour ceux qui préféreraient soutenir mon travail ou acquérir une version papier, mes ouvrages sont toujours en vente sur ma boutique Lulu:


mardi 12 décembre 2017

Couverture (travaux en cours) 2

Deuxième aperçu de la couverture d’En attendant la fin des Nomondəs, dessinée par Leslie Boulay. La deuxième héroïne est dotée de plusieurs noms. Deux sont principalement utilisés dans l’histoire, mais pour la légende, elle est surtout connue par un de ses titres: celui de Prophincesse.

mardi 5 décembre 2017

Couverture (travaux en cours)

La couverture d’En attendant la fin des Nomondəs est en cours. Et c’est la talentueuse illustratrice Leslie Boulay qui en assure la réalisation. En voici un premier aperçu, avec un croquis préparatoire d’Édwenfili, une des deux héroïnes principales. La deuxième, qui pointe déjà le bout d’une oreille ici, se dévoilera la prochaine fois.

mardi 28 novembre 2017

Quatrième de couverture

Qu'avons-nous là ?

Les Nomondes : une série de six mondes et de leurs innombrables Périmondes. Et tout semble indiquer que lesdits Nomondes touchent à leur fin.


Édwenfili : une héroïne qui parcourt les Foires à la recherche de différents objets plus ou moins magifiés, activité propre à attirer toutes sortes d'ennuis sérieux. Et comme elle ne fait pas les choses à moitié, elle s'est mise en tête d'acquérir les anciennes pierres de puissance : les amelunes.


La Prophincesse : figure légendaire censée prévenir ou précipiter la fin, qui se retrouvera bien évidemment mêlée à tout ça.


Autrement dit, pour une fin tranquille, c'est plutôt mal parti…

mardi 21 novembre 2017

jeudi 16 novembre 2017

Le début de la fin

«Que ce soit le fait le plus héroïque ou la tâche la plus monotone, il faut bien commencer quelque part. Chose curieuse, le début n’est pratiquement jamais le meilleur moment pour cela.»

D'où sort cette mystérieuse citation? Vous le saurez en suivant les nouvelles qui vont suivre prochainement sur ce blogue, concernant une publication à venir…

lundi 17 juillet 2017

Mary et la fleur de la sorcière


メアリと魔女の花 (Mary et la fleur de la sorcière) est le premier long métrage du studio Ponoc, que d’aucuns voient comme l’héritier du studio Ghibli. Et non sans raison, car nombre du staff de ce dernier vient de ce premier. À commencer par le réalisateur lui-même, Hiromasa Yonebayashi, qui a déjà deux films à son actif chez Ghibli : 借りぐらしのアリエッティ (Arrietty - Le petit monde des chapardeurs - 2010) et 思い出のマーニー (Souvenirs de Marnie - 2014). Le film était donc attendu avec une certaine impatience par les fans d’animes japonais en général et par ceux de Ghibli en particulier. Mais est-ce que la relève attendue est bien là ?

Alors en ce qui concerne le graphisme et l’animation, on est au niveau d’un Ghibli. On pourrait regretter un chara-design qui n’ose pas se démarquer de son prédécesseur, mais après tout, garder ce style immédiatement reconnaissable du public peut se comprendre, en particulier pour ce premier film. Et ajoutons que les Japonais n’aiment pas trop être bousculés dans leurs habitudes, ce qui vaut autant pour les spectateurs que pour les dessinateurs.
L’histoire traite de magie, thème qui se prête donc tout à fait à quelques fantaisies visuelles. En pareil cas, Miyazaki déploie avec générosité sa veine «baroque», mais ici, on sent que le réalisateur a voulu imiter le maître sans toutefois oser aller aussi loin que lui dans le délire graphique. Il garde un constant souci de ne pas montrer de scène trop dérangeante. C’est dommage d’édulcorer ainsi, car sans grain de folie, l’extravagance penche facilement vers le kitsch.

Concernant l’histoire, le réalisateur a prudemment opté pour une recette souvent adoptée par Miyazaki lui-même : adapter un roman (ici The Little Broomstick de Mary Stewart, inédit en France). Ne connaissant pas l’original, je ne saurais dire si l’adaptation est fidèle ou non. Mais le résultat est décevant à plus d’un titre. Le scénario est aussi linéaire qu’un moteur de maglev. Mais le plus désolant est l’absence de profondeur des personnages. Mary est présentée sans aucune subtilité, en particulier en ce qui concerne sa maladresse qui est montrée d’une façon tellement caricaturale qu’il est difficile de s’attacher d’emblée au personnage. Elle vit ensuite une expérience assez inédite et traumatisante sans que cela ne semble l’affecter plus que cela. Elle aura juste perdu sa maladresse on ne sait trop comment et cela lui aura permis de devenir amie avec le garçon avec lequel, bien entendu, elle ne s’entendait pas au début du film. Les motivations de ses ennemis sont vite mises sur le compte d’une transformation magique et l’on a même droit à un Deus ex machina pour permettre aux deux jeunes héros de se sortir d’une fâcheuse situation finale.

Le film pèche principalement par sa volonté de reprendre les ingrédients qui ont fait le succès des films de Miyazaki tout en gommant les aspects rugueux ou perturbants de ces derniers. On sent la crainte d’essuyer un échec commercial dans ce choix. En effet, par bien des côtés, le film me semble formaté façon «film familial de l’été». Au Japon, beaucoup de films, et en particulier des animes, sortent pendant les vacances scolaires d’été. Certains sont devenus des rendez-vous incontournables comme les films des Pokémons. Étant parent au Japon, j’ai dû m’y coller et subir bon nombre de ces productions, et en particulier ceux des Pokémons, justement. J’en ai donc vu pléthore de franchement ennuyeux, sur le schéma «les gentils sauvent le monde en battant les méchants» avec sa variante à peine plus fine «les gentils sauvent le monde en battant les méchants qui ne l’étaient pas tant que ça, méchants» et où rien ne vient perturber l’enthousiasme des héros. Parfois, des scénaristes un peu moins routiniers ou compatissants envers les parents accompagnant leur marmaille s’amusent à introduire d’autres thèmes, jouant habilement sur deux niveaux de lecture. Ça reste rare, mais c’est pour dire qu’ils en sont parfaitement capables, et le résultat est tout à fait appréciable. Malheureusement, Hiromasa Yonebayashi n’en a rien fait. Sans doute échaudé par le peu de succès de Marnie, il a préféré jouer la sécurité avec les recettes éprouvées par l’industrie cinématographique nipponne et propose donc un film de l’été convenu dont la seule originalité est d’avoir un graphisme à la Ghibli.

mardi 31 janvier 2017

La cornemuse de nulle part - 1er épisode

J'ai acquis un dokodemopipes, dont je présente les caractéristiques sur cette page.
Je vais tâcher de rapporter mes progrès et impressions sur ce blogue.

Les premiers contacts ont été un peu déroutant. Étant habitué au uilleann-pipes, je n'ai eu aucun mal à maîtriser le soufflet, qui pour cette cornemuse demande moins d'efforts.
Par contre, s'habituer au chanter a été plus difficile: il est plutôt court, approximativement de la taille d'un tin-whistle en ré, et ses trous sont plus petits: les doigts se bousculent un peu sur les notes supérieures. De plus les deux pouces sont utilisés, celui de la main droite pour le trou du fa naturel. Ça demande une gymnastique un peu particulière. Et si on veut s'aventurer sur des airs un peu plus exotiques que les écossais ou breton, le doigté peut devenir un peu compliqué.

Mon but en acquérant cette cornemuse était de jouer un peu autre chose que de l'irlandais. Cette cornemuse est bien adaptée pour les airs bretons et écossais, hormis lorsqu'il faut faire des croches acrobatiques impliquant un ré grave et des notes aiguës. À la cornemuse écossaise, elles sont un peu plus faciles à réaliser, car trois doigts de la main droite restent en place. Ici, il faut tous les lever, et dans le feu de l'action, ils ne retombent pas forcément là où on le voudrait.
J'ai retrouvé quelques vieux réflexes que je croyais perdus, du temps où je tentais de jouer de la cornemuse écossaise, il y a de cela plus de trente ans! Même si les airs bretons et écossais sont possibles sur le uilleann-pipes, ils sont plus agréables à jouer et sonnent mieux sur cette cornemuse proche du smallpipes.

Je voulais aussi jouer des airs de musique ancienne. Là, c'est plus difficile, car il faut souvent utiliser un doigté un peu plus sportif pour jouer dans les tonalités exigées.

Les airs galiciens passent assez bien, malgré quelques dièses et bémols qui traînent.

Pour commencer, voici trois marches bretonnes apprises il y a longtemps. La première, est la marche de Cadoudal, la deuxième, si j'ai bonne mémoire, doit s'appeler la marche de Lann-Bihoué, et la troisième, j'ai oublié.