Apprentissage et styles

L'apprentissage

Seamus Ennis, un grand joueur, avait coutume de dire qu'il faut 21 ans pour devenir un joueur de uilleann-pipes : 7 ans d'écoute, 7 ans d'entraînement et 7 ans d'interprétation. L'apprentissage de cet instrument est effectivement long et difficile, et exige une motivation et une abnégation dont seuls les plus talentueux ou les plus cinglés peuvent faire preuve.
Jugez un peu : il faut d'abord acquérir la coordination entre soufflet et sac pour sortir un son régulier, tâche compliquée par le passage au deuxième octave, qui demande un surcroît de pression. Ensuite, il n'y a pas un doigté à maîtriser, mais trois (un close-style et deux open-style) et toutes les ornementations, appoggiatures, triplets et vibratos qui vont avec, aussi nombreux que complexes.
Et une fois qu'on se débrouille au chanter, il faut songer à s'attaquer aux régulateurs, qui se jouent simultanément avec le poignet. Donc, si on n'est pas fou au départ, on le devient forcément en jouant du uilleann-pipes. On comprend mieux que cet instrument soit surnommé evil octopus, car il présente un indéniable côté chthulien, et à l'instar de cette entité, ceux qui le fréquentent y laissent immanquablement leur santé mentale.
Même la magie est impuissante pour maîtriser cet instrument, comme le prouve l'édifiante histoire de Paddy O'Flynch.
Ce joyeux irlandais venait de rencontrer un Leprechaun et ce dernier, conformément à la coutume, lui avait accordé le droit de formuler un vœu. Paddy demanda donc :
— Je voudrais que tu construises un pont entre l'Irlande et la Bretagne. Ce serait sympa pour le rapprochement entre les deux pays.
Le Leprechaun soupira et répondit :
—Je veux bien, mais ça va être extrêmement compliqué, et pour être franc, si tu avais un autre vœu, ça m'arrangerait beaucoup. Un truc plus personnel peut-être ?
Pas contrariant, Paddy demanda alors :
— Bon, eh bien je voudrais jouer du uilleann-pipe aussi bien que Ronan Browne.
Et le Leprechaun de répondre, d'un ton enjoué :
— Alors ce pont, tu le veux en métal ou en béton ?



Les styles de jeu


Avant la famine de 1847, le uilleann-pipes a connu une période faste en Irlande. De nombreux aveugles gagnaient leur vie en jouant de cet instrument. On a distingué dès cette époque les gentlemen pipers, issus des hautes classes de la société, et les travellers pipers, joueurs faisant partie de la communauté de ceux que l'on nommait les tinkers (appellation péjorative à laquelle on préférera le terme de travellers), c'est-à-dire des gens du voyage, des Irlandais devenus nomades et formant un groupe social à part.
Le jeu des premiers est appelé également closed-style, utilisant beaucoup le staccato, tandis que celui des seconds, plus exubérant, est dit open-style et est plus legato. Aujourd'hui, ces deux styles existent toujours, mais ne sont plus vraiment liés à des classes sociales. Chaque joueur s'efforce de les maîtriser tous les deux et de les utiliser à sa convenance selon les morceaux ou les occasions. Mais on peut remarquer que certains joueurs privilégient plus un style par rapport à l'autre.


Le répertoire


Le répertoire du uilleann-pipes est, on s'en doute, principalement constitué de morceaux issus de la musique traditionnelle irlandaise. Il s'agit de danses et d'airs.

Le schéma typique d'un morceau est généralement deux phrases (plus sont évidemment possibles) qui sont chacune répétées deux fois, à l'identique, ou avec des variantes.

Les danses sont :

Les jigs :
La plus représentative étant la double jig, notée en 6/8,  avec six notes par mesure, formant un ou deux groupes.
Les autres jigs sont la single jig (6/8), la slip jig (ou hop jig) (9/8) le slide (6/8 ou 12/8)

Les reels :
Le reel est noté en 2/4 ou 4/4, avec deux groupes de quatre notes par mesure.
Le single reel est une forme rare (2/4). Le même terme désigne également une forme ancienne de reel où les deux phrases ne sont jouées qu'une seule fois.

Les hornpipes :
Le hornpipe est noté en 2/2 ou 4/4 avec six notes par mesure, en un seul groupe, ou deux quand on joue plus lentement.
Le fling (2/2 ou 4/4) est assez proche du hornpipe.

Autres danses :
On joue également des polkas, en particulier dans le Kerry, et parfois aussi des mazurkas, des valses, des marches, des strathpeys, des set dances (ou set pieces), des barn dances.
On joue généralement un enchaînement de plusieurs danses, lesquelles sont jouées plusieurs fois. Le plus souvent, ce sont le même type de danses, mais les medley en mélangent plusieurs sortes. Le jeu consiste à trouver des enchaînements qui se font naturellement, ou qui provoquent la surprise.

Les airs sont sont souvent ceux de chansons. Parfois des compositions, comme par exemple celles de O'Carolan.

Tous ces morceaux peuvent être trouvés dans différents recueils de partitions consacrés à la musique irlandaise. Ils sont nombreux, et je ne citerais donc que le plus connu d'entre eux : le O'Neill's Music of Ireland. Par contre peu sont spécifiquement consacrés au uilleann-pipes et à ses ornementations particulières. Mais on peut se débrouiller sans. Les partitions sur le Net sont très nombreuses, en version normale, ABC… et pour ceux de mon acabit qui ne sont pas fichus de les déchiffrer, on trouve même des fichiers MIDI avec l'air joué à tempo lent.

Des musiques traditionnelles d'autres pays celtes que l'Irlande peuvent être jouées au uilleann-pipes. Certains joueurs se risquant même à des musiques extra-celtiques. Le uilleann-pipes est également utilisé dans d'autres genres. On peut citer des musiciens comme Mike OldfieldKate BushGary Moore et d'autres qui ont fait appel à des pipers renommés pour certains de leurs albums. L'instrument fait également quelques incursions dans le domaine du classique, et les compositions de Shaun Davey sont très représentatives de ce style mêlant orchestre et instruments traditionnels irlandais.
On le retrouve aussi, malheureusement, dans plusieurs productions labellisées «celtic», principalement des newageries sirupeuses qui se servent des instruments traditionnels pour justifier cette appellation.

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